Chers frères et sœurs,

 

L’actualité politique récente en France a souligné par deux fois combien l’Église catholique est devenue incapable de se constituer en instance de sens pour nos concitoyens : d’abord avec l’entrée dans la constitution française d’une « liberté » des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse et ensuite avec un projet de loi ouvrant les portes, au nom de la « fraternité », à une aide médicale à l’euthanasie. Davantage encore que par la perte d’une position majoritaire qui accorderait à l’Église une autorité pour protéger la vie, spécialement celle des plus faibles (les embryons, les personnes âgées), je suis frappé par la dévaluation de la conception chrétienne de la vie, par la relégation de l’Église aux marges conservatrices ou rétrogrades de la société, et enfin par le repli de l’Église elle-même dans le silence à l’écart du débat et du dialogue social. J’ai d’ailleurs moi-même beaucoup hésité à écrire cet éditorial : À quoi bon écrire quand le combat est déjà perdu et qu’il est déjà trop tard ? À quoi bon en parler quand cela pourrait même diviser la communauté paroissiale ou blesser celles qui ont traversé l’épreuve d’un IVG ?

 

Cet « à quoi bon ? » est l’indice probable d’une conception de l’Église comme d’un bastion assiégé et retranché face à un monde constitué en adversaire féroce, ou comme d’une réserve de gentils retardés, éloignés d’une société avancée et en progrès. La tentation est grande alors de s’approprier certaines phrases du Christ. Si je vois le monde comme l’adversaire démoniaque, alors je me rappelle la parole de Jésus : « Vous serez détestés de tous à cause de mon nom ; mais celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » (Matthieu 10, 22) Si je préfère comprendre l’Église comme une communauté rejetant la modernité, sortie du jeu planétaire, je me rapporte à cette autre parole : « Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde. » (Jean 15, 19) Et je risque d’éprouver une joie mauvaise à cette réclusion, exclusion ou séparation.

 

Mais je me refuse à concevoir l’Église comme un bastion de purs, assiégé par l’esprit du mal d’une société adverse, ni comme une réserve de gentils retardataires dont la société n’aurait finalement pas grand-chose à faire. Pourquoi ? Parce que le Christ est ressuscité ! Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé. L’Église, qui est son corps, n’est ni une forteresse ennemie qui doit se défendre de la violence des hommes ni un espace tellement insignifiant qu’on l’oublierait bientôt. L’Église, qui est le corps du Christ ressuscité, est le signe efficace de la lumière du Christ dans le monde, et pour le monde. Signe efficace d’une espérance que la mort n’a pu engloutir : « la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jean 1, 5).

 

La résurrection du Christ renvoie tous les croyants à l’espérance : la lumière du Christ n’a pas été arrêtée. Aussi minoritaires soient-ils, attaqués ou dévalués, repoussés ou ignorés, les croyants doivent rester solides dans la confiance et l’espérance. « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (Jean 16, 33)

 

Alors très belle fête de Pâques à vous tous : « Soyez toujours dans la joie ! » (1 Thessaloniciens 5, 16)

 

fr. Rémi Chéno, o.p.
Modérateur de la paroisse