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Il ne dort pas


Premier dimanche de l’Avent, année B. Confinement.


Il essaye de dormir, mais il n’y arrive pas ; il pense à son entreprise qui est dans une situation de grande fragilité, aux commandes qui n’arrivent pas, aux salariés qui s’inquiètent.


Elle s’est couchée tôt car elle était fatiguée, mais elle ne dort pas. Elle pense à ses parents qui vieillissent et perdent de l’autonomie. Elle pense à ses enfants dont l’ainée lui donne de l’inquiétude. Elle s’inquiète et ne dort pas.


Il aurait aimé faire une bonne nuit pour récupérer, mais il se réveille trop tôt et ne se rendort pas. L’angoisse le saisit dès le réveil, quand il pense à cette conversation importante qu’il aimerait avoir et qui est sans cesse reportée, à ce qu’il souhaiterait dire et à ce qu’il n’arrivera pas à dire.


Elle est couchée sur son lit de réanimation et ne dort pas. Elle ne risque pas de dormir, tant il y a de bruit et d’activité autour d’elle. Elle ne sait plus très bien d’ailleurs si c’est le jour ou la nuit. Elle reste là les yeux fixés sur le faux plafond. Elle ne dort pas.


Chers frères, chères sœurs, les occasions d’insomnie ne nous manquent pas ces derniers temps. Les journées sont bizarres et les nuits sont longues. Nous sommes fatigués de tant de contraintes et de tant d’inquiétudes, et pourtant nous dormons mal.


Et voilà que, pour ouvrir ce temps de l’Avent, nous entendons un évangile qui nous invite à ne pas dormir. Est-ce une mauvaise plaisanterie ? Avons-nous cette année le cœur à entendre un appel à veiller, à se fatiguer encore plus, alors que nous ne sommes si fatigués ?


Quelle est la différence entre veiller et faire une insomnie ? Dans les deux cas on est éveillé la nuit, et on ne dort pas. L’insomniaque tourne en rond, il ressasse sans fin les mêmes questions, les mêmes images, les mêmes souvenirs douloureux, ou les mêmes angoisses à propos du lendemain. Pourtant il sait très bien que cela ne sert à rien, n’apporte rien, et ne risque surement pas de susciter le sommeil.


Le veilleur ne dort pas non plus, et parfois même il lutte pour ne pas dormir. Car il attend. Il ne s’inquiète pas, il attend quelqu’un, ce n’est pas la même chose. Il est frémissant d’attendre, il réagit dès qu’il entend le moindre bruit qui pourrait ressembler aux pas de celui ou celle qu’il attend, un bruit de voiture ou une portière qui claque. Il n’est pas seul, car la personne qu’il attend est tout entière présente à ce silence. C’est à cause d’elle, pour elle, qu’il ne dort pas, qu’il se prive de dormir. Sa veille, son silence, sont habités par l’autre, comme s’il était déjà là.


On sort épuisé d’une nuit marquée par l’insomnie. On ne ressent pas la fatigue d’une longue attente dans la nuit, car cette attente avait un sens, elle était tournée vers celui ou celle qui allait venir.


Le temps de l’Avent est celui de la veille, pas celui de l’insomnie. Nous n’allons pas faire semblant d’attendre la venue de celui dont nous savons très bien qu’il est venu, il y a plus de deux mille ans. Nous n’allons pas faire semblant d’accompagner une grossesse dont l’enfant est né depuis si longtemps. Mais nous allons nous placer en état de veille. Nous sommes invités à vivre ce temps dans l’état intérieur de celui qui veille, tout entier habité par le fait que celui qu’il aime est en train de venir. Comme les moines et les moniales qui se lèvent dans la nuit pour reconnaitre qu’au plus profond des ténèbres et du silence, Dieu est présent, en train de venir.


Cela ne va sans doute pas mettre un terme à nos insomnies, comme par enchantement. Nous n’allons pas voir disparaitre nos causes d’inquiétude, ou notre épuisement. Mais nous allons pouvoir donner un sens différent à nos insomnies. Au lieu de tourner en rond dans ce qui nous blesse et nous angoisse, plaçons-nous en état de veille, tendons l’oreille pour reconnaitre le Bien-aimé qui vient dans le silence de la nuit. Il ne va probablement pas fracasser la porte de notre chambre ou de notre âme, et nous gratifier d’une vision aveuglante. Ce n’est pas tellement dans ses habitudes. Mais nous aurons peut-être la grâce de découvrir que ce grand silence est habité de sa présence.


Dans un très rare témoignage sur sa propre expérience, Maître Eckhart confiait, une nuit de Noël :

« Au milieu de la nuit, alors qu’un silence paisible enveloppait toutes choses, une Parole cachée m’a été dite. Elle est venue dans le secret, à la manière d’un voleur (Sg 18, 14. Sermon 101). » Cela s’est ouvert et a resplendi devant moi, comme si quelque chose allait se manifester. Et c’était Dieu qui m’était annoncé. De cela retentit une Parole, mais il me fut caché ce que c’était. Telle fut sa venue, à la manière d’un voleur, dans un chuchotement et un silence par lesquels Il se manifesta.


Soyons attentifs au silence de la nuit, plutôt que d’être envahis par notre angoisse. Soyons disponibles pour reconnaitre la présence de celui qui se manifeste et qui pourtant reste caché dans la nuit.

Prions les uns pour les autres, afin que Dieu soit notre force et notre rempart pour que nous ne soyons pas envahis ou fascinés par l’épreuve. Qu’il nous donne une oreille assez fine pour entendre dans la nuit ce silence par lequel il nous manifeste qu’il vient, qu’il se tient près de nous. Qu’il nous donne un cœur suffisamment paisible pour reconnaitre que sa présence cachée est plus importante que toutes nos angoisses. Demandons à Dieu, au cours de cet Avent, de faire des insomniaques que nous sommes des veilleurs d’espérance.


Fr. Jean-Marie Gueullette, o.p.

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